ABEILLE NOIRE

NOM DE LA RACE

Quant au terme « race », c’est un concept culturel lié à l’existence d’espèces d’animaux domestiques. Bien qu’il s’agisse d’insectes, les abeilles mellifères (Apis mellifera, Linné 1758) sont considérées comme des animaux domestiques et, nous pouvons donc nous rapporter à la zootechnie pour décrire les différentes races d’abeilles (Padilla et Flores, 2005). Depuis les travaux de Goetze (1964), les populations d’abeilles (Apis mellifera L.) de la péninsule ibérique, sont considérées comme constituant la race ibérique (Cornuet et Fresnaye, 1989). Ainsi, Ornosa et Ortiz-Sánchez (2004), dans leur révision complète des Apoidea ibériques précisent que la sous-espèce endémique de la péninsule ibérique est Apis mellifera iberiensis (Engel 1999), plus connue sous l’ancien nom de Apis mellifera ibérica.

Actuellement, la nomenclature Apis mellifera iberiensis est largement acceptée, aussi bien par la communauté scientifique que par le secteur apicole, pour désigner les populations d’abeilles endémiques présentes dans toute la péninsule ibérique.

HISTOIRE

L’espèce A. mellifera est constituée par quatre lignées évolutives incluant des populations africaines (lignée A), de l’Ouest et du Nord de l’Europe (lignée M) ou encore du Sud-est européen (lignées C et O). A. m. ibenriensis (Engel 1999) appartient, avec A. mellifera, à la lignée évolutive M de l’Europe de l’Ouest (Ruttner 1988) également connue sous le nom d’abeille noire.

Les premières estimations sur la période de divergence entre les lignées évolutives A, C et M indiquent une séparation approximative de 1 million d’années. Toutefois, l’étude la plus complète et la plus actualisée réalisée par Wallerg et al. (2014) propose de réduire cette durée de séparation à 300 000 ans environ. De même, ces auteurs proposent que les divisions entre sous-espèces, à l’intérieur de chaque lignée, se soient produites il y a environ 13 000-38 000 ans.

HISTOIRE

L’espèce A. mellifera est constituée par quatre lignées évolutives incluant des populations africaines (lignée A), de l’Ouest et du Nord de l’Europe (lignée M) ou encore du Sud-est européen (lignées C et O). A. m. ibenriensis (Engel 1999) appartient, avec A. mellifera, à la lignée évolutive M de l’Europe de l’Ouest (Ruttner 1988) également connue sous le nom d’abeille noire.

Les premières estimations sur la période de divergence entre les lignées évolutives A, C et M indiquent une séparation approximative de 1 million d’années. Toutefois, l’étude la plus complète et la plus actualisée réalisée par Wallerg et al. (2014) propose de réduire cette durée de séparation à 300 000 ans environ. De même, ces auteurs proposent que les divisions entre sous-espèces, à l’intérieur de chaque lignée, se soient produites il y a environ 13 000-38 000 ans.

L’existence de clines morphologiques entre l’équateur et le cercle polaire passant par l’Espagne et par le Maroc a fourni l’hypothèse de l’origine africaine de l’abeille noire. La morphométrie traditionnelle, les allozymes et les données mitochondriales sont longtemps venues étayer l’étroite relation entre les sous-espèces A. m. ibenriensis et la sous-espèce d’Afrique du Nord (lignée A). Elles ont aussi renforcé l’hypothèse de Ruttner et al. (1978) selon lesquels les sous-espèces nord-africaines, ibériques et mellifera étaient phylogénétiquement liées et formaient une lignée évolutive unique d’Apis mellifera. Toutefois, des études ultérieures basées sur des marqueurs du génome nucléaire ont révélé que les sous-espèces africaines et des deux européennes de la lignée M (A. m. iberiensis et A. m. mellifera) appartenaient à deux lignées évolutives bien différenciées.

De même, les données morphologiques basées sur la morphométrie géométrique de l’aile avant se sont révélées très cohérentes avec les données du génome nucléaire, venant corroborer l’existence d’une divergence marquée des sous-espèces d’Europe occidentale par rapport à celles d’Afrique du Nord (voir figures adaptées de Miguel et al. 2011 et Wallberg et al. 2014). Cela renforce l’hypothèse selon laquelle la présence du mitotype de la lignée africaine au sein des populations d’abeilles mellifères ibériques est probablement la conséquence d’introductions secondaires, avec une influence minimale sur le patrimoine génétique actuel de A. m. ibenriensis (Garnery et al., 1992, 1998a ; Arias et al., 1996 ; Sheppard et al., 1997 ; Franck et al., 1998 ; Canovas et al., 2007 ; Miguel et al., 2007, 2011).

Les activités apicoles, et le commerce des reines en particulier, ont altéré la répartition originale des sous-espèces d’abeilles mellifères (Apis mellifera) en Europe et ont provoqué l’introduction massive de deux sous-espèces de la lignée évolutive C d’Europe orientale (A. m. ligustica et A. m. carnica) dans la plage indigène de la lignée M d’Europe occidentale (A. m. mellifera et A. m. iberiensis). En conséquence, l’Europe occidentale a été le siège du remplacement et du flux de gènes entre les populations indigènes et commerciales. S’étant produit à différents niveaux, ce phénomène est relativement faible pour la sous-espèce A. m. ibenriensis, en comparaison d’A. m. mellifera, qui a subi un remplacement pratiquement total dans des pays comme l’Allemagne, la France, le Danemark ou la Norvège.

Figure adaptée de Miguel et al., 2007. a) Répartition géographique des haplotypes d’ADN mitochondrial au sein des populations étudiées. Les données concernant la Belgique (CHI) et la France (BAI, SAB, OUE, VAN, ANN et MON), FOI excepté, proviennent de Garnery et al. (1998). Les données ADNmt de Perpignan ont été incluses mais cette population n’a pas été utilisée pour l’analyse des microsatellites, en l’absence de données disponibles.
b) Arbre neighbor-joining de 27 populations ibériques, françaises et belges basé sur la génétique DA matrice de distance (10 microsatellites).

Figure adaptée de Miguel et al., 2007. a) Répartition géographique des haplotypes d’ADN mitochondrial au sein des populations étudiées. Les données concernant la Belgique (CHI) et la France (BAI, SAB, OUE, VAN, ANN et MON), FOI excepté, proviennent de Garnery et al. (1998). Les données ADNmt de Perpignan ont été incluses mais cette population n’a pas été utilisée pour l’analyse des microsatellites, en l’absence de données disponibles.
b) Arbre neighbor-joining de 27 populations ibériques, françaises et belges basé sur la génétique DA matrice de distance (10 microsatellites).

Si l’on en croit Miguel et al. (2007), les principaux facteurs responsables de la différenciation entre les deux sous-espèces de la lignée évolutive M sont les processus de (1) recolonisation postglaciaire, (2) d’isolement pour cause de distance et (3) la barrière géographique des Pyrénées.

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Les données mitochondriales viennent renforcer l’hypothèse selon laquelle la péninsule ibérique aurait servi de refuge glaciaire aux abeilles d’Europe occidentale.
Les auteurs indiquent deux voies de recolonisation postglaciaire aux deux extrémités des Pyrénées et suggèrent que la voie occidentale fut la plus significative pour le processus de recolonisation. Ainsi, et sans écarter la possibilité que des refuges au nord des Pyrénées aient pu subsister, l’origine phylogénétique du patrimoine génétique actuel d’A. m. mellifera serait l’ancêtre d’A. m. iberiensis (Miguel et al., 2007).

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En outre, les données nucléaires (microsatellites) suggèrent un isolement dû à la distance entre les populations de la lignée M. En d’autres termes, la différenciation génétique entre les ruchers s’est produite plus ou moins graduellement, cette différenciation étant d’autant plus importante que la distance géographique séparant les deux ruchers est grande.

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Finalement, les données nucléaires ont également prouvé, d’une manière convaincante, que les Pyrénées opposent une barrière au déplacement des gènes. En d’autres termes, la frontière géographique séparant les sous-espèces A. m. mellifera et A. m. iberiensis serait située sur les Pyrénées.

MORPHOLOGIE ET STANDARD RACIAL

Adam (1961) a défini l’abeille mellifère de la péninsule ibérique comme une abeille couleur noir de jais, où l’intensité du noir est encore accentué par un tomentum très étroit et par une faible pilosité. De couleur sombre et uniforme, les reines ont des mouvements rapides et plutôt nerveux. Elles sont prolifiques et leur grande fécondité est soumise aux conditions environnementales. En outre, cet auteur considère que les animaux sont vigoureux et restent actifs à des températures où d’autres sous-espèces ne sortent pas de la ruche. Elles ont abondamment recours à la propolis et l’opercule fermant les cellules présente un aspect aqueux. Sous l’aspect négatif, il faut tenir compte du fait que la larve est sensible à certaines maladies.

En règle générale, on peut dire que les abeilles de race ibérique sont des abeilles actives, nerveuses et moyennement agressives. Elles présentent une pilosité moyenne, un tomentum moyen et une langue longue. Leur indice cubital moyen est proche de 1,8. La tendance à essaimer est élevée quand les conditions sont favorables et cette abeille présente une certaine tendance au pillage. Elle est parfaitement adaptée au milieu et le caractère d’élevage est fortement lié à la disponibilité en aliments.

Exemplaire de la sous-espèce A. m. iberiensis

Le tableau suivant (adapté de Cornuet et Fresnaye 1989) présente les valeurs moyennes de 6 caractères moyens mesurés dans 20 colonies réparties dans toute la péninsule ibérique, ainsi que la moyenne générale de la sous-espèce A. m. ibenriensis.

Ces résultats moyen ne doivent pas faire oublier la variabilité qui se manifeste par un gradient orienté approximativement le long d’un axe sud-ouest/nord-ouest. Les abeilles du sud ont les poils courts (0,27 mm) et une langue longue (6,87 mm), celles du nord au contraire présentent des poils plus longs (0,32 à 0,38 mm) et une langue plus courte (6,6 mm environ). Même si les différences ne sont pas significatives, on constate une variation parallèle du tomentum, large au sud (0,71 mm) et qui devient de plus en plus étroit quand on remonte vers le nord. Enfin, les variations de couleur (significatives) et des veines cubitales (non significatives) indiquent un caractère aléatoire.

CARACTÉRISATION GÉNÉTIQUE

Il existe de nombreuses études scientifiques permettant de différencier entre les deux sous-espèces de la lignée M : A. m. mellifera et A. m. iberiensis.

Dans une étude qui couvre la variation de presque tout le génome nucléaire, Walberg et al. (2014) ont mis en évidence une différenciation génétique nette tant de la lignée M par rapport aux autres lignées évolutives (A, C, O) comme des deux sous-espèces de la lignée M entre elles : A. m. iberiensis et A. m. mellifera.

Figure adaptée de Walberg et al. (2014). Arbre Neighbor-joining construit à partir des distances basées sur les allèles partagés entre sous-espèces indigènes. Les nœuds conduisant aux quatre groupes géographiques supportés à 100 % sont marqués d’un astérisque ; l’échelle fournit la distance génétique brute par site variable.

De même, les données morphologiques et, plus précisément la morphométrie géométrique de l’aile avant, qui concordant avec les données du génome nucléaire, différencient clairement la lignée M des autres lignées, ainsi que les deux sous-espèces de la lignée M (A. m. iberiensis et A. m. mellifera) et dessinent, sur les Pyrénées, une barrière au déplacement des gènes, comme on peut l’observer sur la figure suivante signée Miguel et al. (2011).

Figure adaptée de Miguel et al. (2011). Arbre neighbor-joining à partir de la matrice de distance Mahalanobis D2 basée sur les données morphométriques géométriques de l’aile avant, avec 19 points de référence de 663 colonies situées dans 18 localités de toutes la péninsule ibérique (A. m. iberiensis), 5 en France et en Belgique (A. m. mellifera) et 4 autres correspondant aux sous-espèces A. m. ligustica, A. m. macedonica, A. m. intermissa et A. m. major.

Cette différenciation génétique a permis de mettre au point des outils génétiques pour certifier qu’une abeille appartient bien à la sous-espèce A. m. iberiensis et servant d’appui pour la conduite, la sélection et la conservation des sous-espèces d’abeilles mellifères. Ainsi, Muñoz et al. (2015) et Henriques et al. (2018) proposent un outil génétique hautement discriminant et à bas coût, basé sur le génotypage d’un petit nombre de marqueurs SNP afin de vérifier l’origine d’individus des sous-espèces A. m. Iberiensis et A. m. mellifera respectivement et pour fournir des estimations précises du niveau d’introgression de la lignée C dans son génome. De même, le projet européen Smartbees (2014-2018) a comme objectif de développer un panel de SNP pour le diagnostic des populations des sous-espèces d’abeilles en Europe.

IMPORTANCE DE LA POPULATION ET VARIABILITÉ GÉNÉTIQUE

Walberg et al. (2014) mettent en évidence que la taille des populations d’abeilles a beaucoup fluctué au cours de l’histoire et que ces fluctuations ont suivi les changements climatiques. Ils observent également que les populations contemporaines présentent une grande diversité génétique, ce qui indique l’absence de goulots d’étranglement dans la domestication.

Comme on peut l’observer sur le tableau ci-dessus, l’abeille ibérique est la sous-espèce présentant le plus grand degré de diversité parmi toutes les sous-espèces d’abeilles européennes (lignées M, C et O). Bien qu’il s’inscrive dans la lignée évolutive M, l’ADN mitochondrial de cette sous-espèce présente un gradient nord-sud caractéristique. Tandis que les populations du nord de la péninsule possèdent, avec une fréquence majoritaire, des haplotypes M (représentés en bleu sur la fig. 4), les populations du sud de la péninsule présentent majoritairement des haplotypes de la lignée A (représentés en rouge sur la fig. 4A), caractéristiques de l’Afrique du Nord. Ce patron est certainement imputable aux introductions humaines depuis l’Afrique du Nord par les arabes au cours de l’occupation musulmane de la péninsule, ajoutées à l’effet de la sélection naturelle qui a permis de conserver ce patron de haute diversité (Garnery et al. 1998 ; Miguel et al. 2011 ; Cánovas et al. 2014). Outre cette variation au sein de la sous-espèce, l’étude du génome nucléaire de celle-ci a mis en évidence l’existence d’au moins trois sous-populations dans la péninsule ibérique (figure 4B) dont la différenciation est due, principalement, à des pressions sélectives exercées par les différents niveaux d’insolation, de température et de précipitation dans chaque région (Chávez-Galarza et al. 2013).

Figure adaptée de Walberg et al. (2014). Par sous-espèce et par lignée évolutive : le nombre d’échantillons analysés, le nombre de SNP variables détectés, le taux de mutation de la population par base (θw) et la taille effective de la population (Ne).

Carte de la péninsule ibérique montrant les niveaux de diversité génétique de la sous-espèce A. m. iberiensis. Les lignes noires continues indiquent la séparation entre la sous-espèce ibérique et les sous-espèces A. m. mellifera (au nord des Pyrénées) et A. m. intermissa (en Afrique du Nord). Les lignes pointillées noires représentent les différentes populations de la sous-espèce ibérique. (A) Gradient nord-sud des fréquences haplotypiques caractéristiques des lignées M (bleu) et A (rouge) basé sur les études de l’ADN mitochondrial. La flèche en diagonale indique le sens du gradient. La flèche rouge indique le sens d’introduction artificielle des populations d’Afrique du Nord. (B) Population d’A. m. iberiensis présentes dans la péninsule ibérique sur la base des études de l’ADN nucléaire.

BESOIN D´UN PROGRAMME D'AMÉLIORATION GÉNÉTIQUE

Il est patent que les populations locales d’abeilles présentent un niveau de diversité idéal pour s’adapter aux changements environnementaux et aux conditions de leur écosystème. En conséquence, les populations locales sont d’autant plus productives qu’elles vivent dans leur écosystème. Concrètement, la population locale de la péninsule ibérique, même bien adaptée à son milieu, fait preuve d’un fort comportement défensif et d’une tendance à l’essaimage. Elle est sensible à l’infection par l’acarien varroa. Ces trois caractères ne sont pas souhaitables pour les apiculteurs. En effet, d’une part, des abeilles plus dociles faciliteraient le travail de routine et permettrait à l’apiculteur de prendre plus de plaisir à côtoyer ses abeilles qui seraient aussi plus productives et, en dernier lieu, les abeilles résistantes à la varroase réduiraient l’emploi d’acaricides et faciliteraient leur conduite. Ce qui débouche sur une augmentation de la production. La recherche des caractéristiques mentionnées a provoqué, au cours des 20 dernières années, l’introduction d’autres sous-espèces non locales (et hybrides), en particulier A. m. ligustica et Buckfast, lesquelles menacent la diversité naturelle de la population locale du fait de croisements incontrôlés entre les sous-espèces locale et étrangères.

Placés devant ce fait, notre objectif est de maintenir et de promouvoir la diversité génétique de la sous-espèce A. m. iberiensis. Il est nécessaire pour cela de sélectionner les populations locales pour obtenir des abeilles présentant des caractères intéressants pour les apiculteurs et pour qu’elles soient préférées. Cela permettra d’éviter les importations d’abeilles étrangères et favorisera la préservation de la diversité des populations locales d’abeilles noires autochtones.